Psychologie magazine

Article tiré de Psychologies.com
Par Flavia Mazelin Salvi – Mis à jour le 2 Août 2010 à 11:12

Frustrés, stressés, pressés… et pourtant si désireux de goûter plus fréquemment à la sérénité. Mais elle semble souvent inaccessible. Sauf, peut-être, quand nous cessons de confondre paix et calme plat.

« Visibly restless », « visiblement agité ». C’est ainsi que débute le portrait de Nicolas Sarkozy, interviewé par deux journalistes du New York Times, le 24 septembre dernier. Cette agitation était-elle due à une migraine, au poids d’une journée éprouvante, au stress lié à l’évocation du dossier iranien, aux prémices d’une séparation devenue inévitable ? Les hypothèses ont été passées en revue. Mais le plus intéressant n’est pas tant de s’interroger, ici en tout cas, sur la cause de la nervosité du président, que de constater que l’agitation témoigne toujours de la rupture d’un certain équilibre intérieur. Et que, à cet égard, elle trouble, inquiète ou déstabilise aussi bien celui qui la ressent que celui qui en est le témoin. Le mot anglais restless, littéralement « sans repos », traduit d’ailleurs très précisément cet état, passager ou chronique, de tension, de dispersion ou de bouillonnement interne, qui empêche le corps et l’esprit de trouver la paix.

L’agitation, c’est peut-être l’état émotionnel que la plupart d’entre nous connaissent le mieux : un projet qui n’aboutit pas, une dispute avec un proche, des difficultés matérielles, la crainte du changement, mais aussi des événements heureux, comme tomber amoureux, acheter une maison ou très simplement partir en vacances… Dans notre vie quotidienne, les occasions de voir se lever en nous des tempêtes émotionnelles sont infinies. Et elles commencent souvent dans la simple relation de soi à soi.

La force de nos tensions

Le philosophe Sénèque voyait dans le « mécontentement de soi » l’obstacle majeur à ce qu’il considérait comme le but suprême à atteindre : « la tranquillité de l’âme (In La Tranquillité de l’âme, Mille et Une Nuits, La Petite collection, 2003). » De ce mécontentement de soi découle, selon lui, une série de comportements toxiques, parmi lesquels : l’inconstance, l’insatisfaction, la passivité, la nostalgie ou la peur du changement… Autant de poisons qui déforment notre perception de la réalité et qui nous empêchent d’être en paix avec nous-même comme avec les autres.

Or, pour passer du mécontentement de soi à un certain contentement, pour ressentir un confort intérieur, il faut au moins se connaître un peu. Ne serait-ce que pour mieux cerner ses zones de forces et de faiblesses, et se fixer des objectifs de vie réalistes, susceptibles en tout cas de générer plus de satisfaction que de frustration. Sans plongée en soi, comment entendre et reconnaître son vrai désir, comment être sûr que les ambitions et les rêves qui nous font avancer sont bien les nôtres ? Comment, enfin, trouver la paix en ignorant ou en niant l’existence des courants antagonistes qui nous traversent ?

« On ne peut pas atteindre une certaine unité de l’être sans prendre conscience des contradictions qui le constituent, souligne le psychanalyste Jacques Arènes, auteur, notamment, de La Défaite de la volonté, en collaboration avec Nathalie Sarthou-Lajus (Seuil, 2005). Notre désir est par essence protéiforme et ambivalent. » Il suffit de se pencher sur nos aspirations au bonheur ou au plaisir pour mesurer la complexité de leur nature. Nous souhaitons la paix du cœur et nous voulons vivre la grande passion amoureuse, nous voulons être reconnus et valorisés par les autres, mais sans avoir de comptes à rendre à personne, nous aimerions profiter de l’instant présent, pourtant nous n’arrêtons pas de vivre dans le futur, proche ou lointain… C’est de ces paradoxes dont nous sommes pétris. En prendre conscience et les accepter minore considérablement les troubles qu’ils peuvent générer. « La paix n’est pas synonyme de confort ni de calme plat, explique encore le psychanalyste. Elle peut être obtenue dans une certaine tension, dans un inconfort à aborder certaines choses difficiles et contradictoires en soi. Mais pour atteindre une certaine paix et apaiser nos tensions intérieures, il faut savoir renoncer à tout contrôler. En soi, comme autour de soi. »

La tyrannie du toujours plus

Vivre zen, dépasser les conflits, trouver le calme intérieur, jamais notre désir de sérénité ne s’est exprimé aussi massivement. Et rarement, selon Jacques Arènes, les conditions pour y accéder n’ont été aussi difficiles : « Notre contexte socioculturel n’est pas très favorable au retour sur soi, qui est l’une des conditions pour trouver la paix en soi. Nous vivons dans une culture de productivité et de performance. Le “faire” est central dans la conception d’une vie qui a du sens. Pas de blanc, pas de vide, pas de silence, il faut remplir le temps ! On considère rarement le temps non employé comme un possible temps de gestation, mais comme une occasion manquée de faire quelque chose. »

Solène, 36 ans, architecte d’intérieur, se plaint d’un rythme de vie démentiel : sorties et dîners conditionnant une part importante de sa réussite professionnelle, elle ne parvient toujours pas à dégraisser son agenda, même si elle reconnaît vivre « au bord du burn out ». Antoine, 44 ans, ingénieur dans l’aéronautique, ne prend que deux semaines de congés par an pour ne pas se laisser distancer. Comprendre « se laisser doubler par ses rivaux ».

Quant à Aude, 39 ans, mère de quatre enfants de 2 à 10 ans, elle aimerait être moins anxieuse, se poser moins de questions, pour mieux profiter de sa famille. Cette pression sociale, qui transforme le temps en un animal sauvage à domestiquer, prend souvent le visage du perfectionnisme, du « toujours plus et du toujours mieux ». Pour le psychiatre Frédéric Fanget, auteur, notamment, de Toujours mieux ! Psychologie du perfectionnisme (Odile Jacob, 2006), c’est l’un des maux de notre époque. « Derrière cette hyperactivité apparente se cache en général une terrible angoisse du vide, une impression que votre vie serait sans intérêt, sans aspérité, si vous ne faisiez pas les choses parfaitement. »

Et, aujourd’hui, qu’est-ce qui répond le plus fréquemment à la peur du vide ? La consommation. Tous azimuts. Objets, loisirs, émotions, relations. « On essaie de maximiser les plaisirs pour lesquels la culture nous a conditionnés : la richesse, le pouvoir et la sexualité, qui deviennent les objets de notre poursuite. Cependant, la qualité de vie ne peut être améliorée de cette façon », écrit le psychiatre Mihaly Csikszentmihalyi dans Vivre, la psychologie du bonheur (Pocket, Evolution, 2006).

Aller chercher à l’extérieur la paix qui nous fait défaut à l’intérieur ? La démarche paraît absurde. C’est pourtant la nôtre, quand nous faisons tout pour éviter le tête-à-tête avec nous-même. Dans Cercle (Gallimard, 2007), le dernier roman de Yannick Haenel, le narrateur décide un matin de quitter une vie qu’il ne reconnaît plus comme sienne. L’allégement qu’il ressent à ce moment-là et la sensation d’être au plus juste de lui-même évoquent de manière poétique ce moment où, à l’agitation du corps et de l’esprit, succède un sentiment d’unité et de paix intérieure. « Est-il possible d’affirmer un jour : “Je suis prêt” ? Ce matin-là, j’ai pensé : “C’est possible”. Je n’avais aucune idée de la manière dont ces choses deviennent possibles et, pourtant, en quelques secondes, je l’ai su. » Nous apprendre que cet état existe est l’un des cadeaux de ce livre.

Pas de lumière sans ombre

Agressivité chronique, reproches répétés contre les mêmes personnes, jugements péremptoires, répétitions malheureuses, autodévalorisation ou autopromotion… Et si c’était notre part d’ombre qui s’exprimait ? « Pour Jung, l’ombre représente une partie de nous-même que nous ne reconnaissons pas comme faisant partie de notre personnalité psychique, explique Norbert Chatillon, psychanalyste jungien. Lorsque nous ne voyons pas l’ombre en nous, nous la projetons sur les autres, ou bien nous la laissons se retourner contre nous, ce que les jungiens appellent “déflation”. »

Pour Jung, l’ombre nous constitue tout autant que la lumière. Elle peut prendre toutes les formes. Ainsi, la propension à juger peut être la part d’ombre, refoulée ou ignorée, de celui qui accuse toujours les autres de le juger. L’ombre comprend aussi tous les aspects que la personnalité consciente perçoit comme négatifs, même quand il ne s’agit pas de défauts. Par exemple, l’humour ou la sensualité, habituellement réprimés chez un homme ou une femme inhibés, pourront se manifester dans certaines circonstances. Ces traits de personnalité, refoulés en temps ordinaire, constituent leur « part d’ombre ». De manière générale, on peut dire que plus l’ombre en soi est identifiée et acceptée, plus on se sent confortable avec soi-même et avec les autres. On parle alors d’intégration.

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